Lettre importante adressée au Recteur, qui exprime très clairement la position, sur un plan syndical, de la FNEC-FP-FO Créteil concernant « le projet de plan d’action académique pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes« .
Le courrier en PDF pour impression
Créteil, le 9 février 2022
à Monsieur le Recteur
objet : projet de plan d’action académique pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes
Monsieur le Recteur,
Nous avons pris connaissance de la version du 1er février du projet de plan d’action académique pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes 2022-2024 qui sera soumis à discussion et avis lors du CTA du lundi 14 février.
Nous remercions les collègues de vos services qui ont élaboré ce document assez complet sur la base des discussions avec les organisations syndicales représentatives lors de plusieurs groupes de travail.
Ce document présente une volonté claire de transparence quant à la réalité des disparités qui existent entre les hommes et les femmes du point de vue des carrières, des traitements (particulièrement du point de vue indemnitaire), des postes à responsabilité, etc.
Nous ne pouvons que nous en féliciter. Mais multiplier les documents d’analyse mettant en exergue tous les dysfonctionnements et les disparités dont sont victimes les femmes ne permet pas de résoudre les problèmes.
La loi 83-634 portant droits et obligations des fonctionnaires stipule :
– Dans son article 6 : « La liberté d’opinion est garantie aux fonctionnaires. Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, de leur âge, de leur patronyme, de leur situation de famille ou de grossesse, de leur état de santé, de leur apparence physique, de leur handicap ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race. »
– Dans son article 6 bis : « Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leur sexe. Aucun fonctionnaire ne doit subir d’agissement sexiste, défini comme tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant. »
Il est donc bien établi que, depuis sa première promulgation en 1946, la loi portant droit et obligations des fonctionnaires offre par le statut aux femmes comme aux hommes des garanties d’égalité. Il appartient à l’Etat et à l’institution que vous représentez de s’assurer du respect de cette égalité.
Nous vous l’avons dit à plusieurs reprises lors de différentes instances : toutes les lois qui remettent en cause ce statut de la fonction publique ou les statuts particuliers, toutes ces mesures qui instaurent des avancements de carrière fondés sur des entretiens individuels, qui modulent les indemnités en fonction de la manière de servir, ou qui instaurent toutes formes de déréglementation font le lit de ces disparités inacceptables dont sont victimes les femmes.
Citons, sans vouloir être exhaustif, l’application de PPCR qui, avec ses rendez-vous de carrière individualisés, accentue l’arbitraire dans la gestion de l’avancement de carrière de tous les collègues.
Citons l’instauration des indemnités Rifseep dont le montant est calculé non plus seulement sur un niveau de qualification statutaire mais sur une fonction occupée (et on sait – c’est regrettable et doit être combattu – que plus ces fonctions sont « à responsabilité », moins elles sont assurées par des femmes).
Citons la volonté affirmée du Président de la République et du Ministre d’autoriser les chefs d’établissement à recruter leurs enseignants qui aurait inéluctablement pour conséquence de créer des entraves à la « mobilité » des femmes, susceptibles par exemple de demander des temps partiels de droit.
Citons l’attribution récente de la part modulable de la prime REP+ qui, si nous avons bien compris, la présentation faite en GT, se fera sur la base du mérite collectif d’un établissement scolaire, avec des critères privilégiant le temps « hors cours », donc le temps pendant lequel nombre de femmes ne sont pas disponibles pour raisons familiales.
Citons la loi sur la transformation de la fonction publique qui, en généralisant la précarité dans la fonction publique, aura hélas assurément des conséquences encore plus désastreuses sur les femmes. Il est d’ailleurs particulièrement notable que dans le document présenté, et malgré les différentes remarques faites lors des groupes de travail, aucune mesure tangible ne soit prévue pour protéger les femmes contractuelles de la fonction publique.
Prenons les AESH par exemple : peut-on donner crédit à votre volonté louable de « résorber les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes » (action 1.3) sans immédiatement décider une augmentation générale des salaires permettant à ces femmes – car les AESH sont très majoritairement des femmes – de vivre de leur salaire ? Les AESH du Val-de-Marne sont en grève illimitée depuis le 10 janvier, parce qu’en particulier elles n’en peuvent plus d’être payées à 57% du SMIC, c’est-à-dire 300 euros en dessous du seuil de pauvreté : vous comprendrez que ne pas leur répondre, ne pas leur donner satisfaction sur leurs revendications, c’est contredire les affirmations de principes louables contenues dans votre plan d’action.
Vous expliquez dans votre axe 4 vouloir « mieux accompagner les situations de grossesse, la parentalité et l’articulation des temps de vie professionnelle et personnelle ». L’exact inverse de ce que sont les PIAL ! Ces nouveaux pôles visent à accentuer la flexibilité des conditions de travail de ces collègues AESH, de vous permettre d’exiger d’elles qu’elles prennent au pied levé la responsabilité d’un nouvel élève en situation de handicap, dans un nouvel établissement scolaire, avec des horaires incompatibles avec leurs obligations familiales et leur second ou troisième travail indispensable pour payer les charges familiales.
L’exact inverse également de ce que vivent toutes les femmes contractuelles qui pour beaucoup craignent d’annoncer leur grossesse parce qu’elles savent que la reconduction de leur contrat sera impossible pendant leur congé de maternité. Nous avons demandé à plusieurs reprises que, systématiquement, un contrat couvrant l’ensemble du congé maternité soit proposé aux collègues femmes contractuelles annonçant leur grossesse, de sorte qu’il n’y ait plus, comme cela se produit trop souvent, des collègues exclues du réemploi en septembre parce que non revenues de leur congé maternité.
Bien sûr, toutes ces mesures auraient un coût, et c’est certainement pour respecter ce « plafond d’emploi et de dépenses » qui, comme vous le dites souvent, est votre première boussole que ces mesures pourtant simples à mettre en place ne sont pas prévues dans ce plan d’action.
Comme rien, du reste, n’est prévu pour garantir le remplacement systématique des collègues en congé maternité : enseignantes, mais aussi AESH ou assistantes d’éducation. Il y a peu, le Directeur académique de Seine-Saint-Denis s’est même emporté en CTSD en répondant aux délégués syndicaux qui demandaient le remplacement d’une AESH d’ULIS partie en congé maternité que de toutes façons « on ne remplaçait jamais les AESH » : est-ce là une réponse conforme à la protection pourtant indispensable des femmes qui ont le droit de partir en congé maternité en ayant une conscience professionnelle apaisée puisque se sachant remplacées ? Nous vous avons demandé à plusieurs reprises combien de congés maternité chez les enseignantes aujourd’hui n’étaient pas remplacés : vous ne nous répondez pas. Quel crédit pourrait-on donner à votre volonté de transparence sur les autres données significatives décrivant les disparités de traitement?
Et nous n’évoquons même pas la situation des assistantes d’éducation. Année après année, nous vous demandons que des données soient intégrées dans le bilan social, sur leur réemploi, sur le remplacement des congés maternité, sur la durée de leurs contrats, etc. Chaque année, vous nous répondez que les employeurs étant les chefs d’établissement, vous ne pouvez avoir de données chiffrées. Pourtant, nous savons tous que ces collègues assistantes d’éducation subissent, par la précarité de leur contrat, des conséquences bien douloureuses du fait d’être femmes.
Alors, Monsieur le Recteur, nous revenons à la loi 83-634 et aux deux articles garantissant l’égalité de traitement. Si Monsieur le Ministre, si vous-mêmes aviez vraiment la volonté de travailler à l’égalité professionnelle femme-homme, vous agiriez pour abroger toutes les lois et décrets ayant écorné ce statut de la fonction publique et les statuts particuliers, vous agiriez pour en finir avec la précarité et organiser la titularisation de tous les personnels précaires dans des corps de la fonction publique. Il faut reconnaître, Monsieur le Recteur, que là n’est pas le chemin pris par les différents ministres depuis plusieurs dizaines d’années. Ce n’est pas un « plan d’action académique » qui arrivera à compenser toutes les scandaleuses disparités de traitement, accentuées par les mesures de déréglementation.
Force Ouvrière, au niveau confédéral interprofessionnel comme au niveau de ses syndicats de base de l’Éducation nationale, est profondément attachée au combat pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et rejette avec la plus grande conviction toute violence sexiste et sexuelle au travail : ce combat est commun à l’ensemble des militantes et militants.
Elle le fait sur la base de ses mandats, avec les représentants que les syndiqués ont décidé de mandater, et refuse, comme il est stipulé dans l’action 1.4 dont nous demandons le retrait, que l’administration ait un droit de regard sur la composition d’une délégation mandatée. L’indépendance consubstantielle à Force Ouvrière exige de ne confier qu’aux syndiqués, et à eux seuls, le soin de définir qui sera mandaté dans les instances et groupes de travail, sur quels critères et sur quel mandat.
Comme nous l’avons fait à l’occasion des groupes de travail, nous vous proposons donc, Monsieur le Recteur, d’intégrer à votre projet de plan d’action les remarques faites dans ce présent courrier, afin de nous permettre de le voter lors du comité technique académique du 14 février.
La qualité du travail de vos services trouverait en effet sur cette question si importante de l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes un écho allant au-delà du cadre des généralités si elle était accompagnée à la fois par les mesures budgétaires indispensables et par le rétablissement des droits statutaires remis en cause.
Veuillez agréer, Monsieur le Recteur, nos salutations respectueuses.
Pour la FNEC FP-FO, Pascal Chambonnet, Coordonnateur académique